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Tout d’abord un grand merci de nous accorder ce moment. C’est un grand honneur et un moment très particulier que de rencontrer « le Docteur », votre Docteur, que vous avez su imposer au fil de la série! Un grand bravo pour incarner et donner vie avec autant de brio et de talent à ce personnage culte Outre-manche!
Et merci David Manet pour cette surprise que vous nous avez réservé en venant accompagné d’un autre David, non pas David Tennant, mais David Macaluso, Directeur de plateau du doublage de Doctor Who.
– Comment êtes-vous devenu comédien ?
David Manet : J’ai fait des études pour devenir comédien, au conservatoire, l’envie de s’offrir un autre destin que le sien… C’est d’ailleurs une des motivations des comédiens que de se glisser dans la peau de personnages, souvent loin de nous.
– Vous travaillez essentiellement sur des doublages.
David Manet : Oui, j’ai beaucoup travaillé dans le domaine du doublage et par la force des choses il me restait peu de temps pour d’autres projets. Cependant, je serai au théâtre à partir de novembre. Je ne fais pas que du doublage.
– Pourquoi avoir fait ce choix ?
David Manet : Il s’agit d’un concours de circonstance. Lors de mes études au conservatoire, j’ai effectué un stage de doublage. Il s’agissait d’un stage payant où j’avais l’assurance d’être engagé.
J’ai ainsi travaillé comme récurrent sur « Neighbours » (« Les voisins »), une série australienne avec Kylie Minogue et Jason Donovan. (soap Australien, entre 1986/1989 pour les deux acteurs susnommés). Ce rôle ne devait apparaître que dans un épisode mais finalement le personnage est resté 1 an. Grâce à cette expérience, j’ai ensuite enchaîné les rôles.
– Comment êtes-vous passé de la série live au dessin animé ?
David Manet : Curieusement j’ai mis trois ou quatre ans avant de venir dans le domaine des dessins animés, je crois que l’un des premiers dessins animés que j’ai doublé était Pokémon.
– Quelles sont les différences entre les séries et les dessins animés ?
David Manet : Je trouve qu’en général un dessin animé est plus fatiguant. Il faut souvent changer de voix et leur donner des énergies plus extrêmes.
Sauf Doctor Who qui est une exception et qui est épuisante comparée à d’autres séries!
– Comment se passe le doublage d’un épisode ?
David Manet : Je laisse David en parler.
D. Macaluso : Ca se passe super bien !
David Manet : Il y a toute une partie que l’on ne voit pas, beaucoup de travail qui se fait en amont. Nous sommes presque la dernière partie du travail.
D. Macaluso : Nous sommes vraiment le dernier maillon de la chaîne, avant il y a la détection. En bref : le client reçoit le produit en VO, il est traduit et adapté pour le lipping.
Puis ce travail en VO est envoyé au directeur de plateau, qui fait le casting, établit ses plans de travail et appelle les comédiens qui correspondent aux rôles selon lui.
Nous intervenons à la fin de la chaîne où nous enregistrons, en quelques jours. Enfin vient le mixage.
David Manet : Les comédiens arrivent en studio quasiment sans préparation, souvent même sans savoir de quoi il s’agit. Dans le cas de Doctor Who, c’est différent. Enfin lors de la première séance de Doctor Who, nous ne savions pas de quoi il s’agissait.
Nous regardons la version originale par petites séquences qu’on appelle « boucles » et qui en général durent moins d’une minute. Mais nous ne le faisons pas comme un spectateur lambda. Nous avons une bande rythmée sur laquelle la traduction est déjà écrite avec un repère visuel qui défile en même temps.
Nous regardons cette boucle plusieurs fois jusqu’à ce que l’on considère que l’on a capté l’énergie du jeu pour l’essentiel. Ensuite nous nous lançons! Nous enregistrons, recommençons jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de défauts de prononciations et que l’illusion de lipping (concordance texte/mouvement des lèvres) soit la plus exacte possible.
D. Macaluso : Normalement, lorsque nous avons le temps, le budget et le matériel prêt à l’avance, il peut y avoir des séances de projections privées, notamment pour certains films ou certaines séries difficiles.
Pour Doctor Who, nous aurions dû pouvoir le faire mais nous avons eu le matériel trop tard sur les premiers épisodes!
En tant que directeur de plateau, il m’arrive d’envoyer une copie aux comédiens principaux, pour qu’ils voient l’ambiance de l’épisode.
David Manet : Et pour qu’ils voient la continuité de l’histoire, ce qui peut aider.
– Combien de temps mettez-vous vous pour doubler un épisode ?
D. Macaluso : Tous comédiens confondus : entre une journée et une journée et demie. Nous avons huit heures de travail pour quarante minutes de pellicule, mais cela peut aller jusqu’à douze heures pour Doctor Who qui est spécialement difficile à doubler.
Là, nous avons une journée et demie! Mais ce n’est jamais assez! Nous devons vraiment lutter contre nous-mêmes… On se dit que nous pourrions faire encore mieux si nous avions plus de temps! Doctor Who est une série particulièrement frustrante pour cela.
David Manet : Il y a beaucoup d’humour, de double sens, de subtilités qui ont été repérés la plupart du temps par l’adaptateur mais pas toujours.
Il arrive qu’en studio, nous nous rendions compte qu’il y a un peu du sel, du piquant de la scène qui manque dans cette adaptation. La tentation est alors forte d’essayer de coller au plus près possible et il arrive que nous retravaillions le texte à ce moment là.
Au niveau de l’énergie, le doublage est vraiment difficile. L’anglais est déjà une langue difficile par rapport au français parce que c’est une langue très mobile avec des accents toniques, des changements dans la voix, on joue sur les aigus, les graves… Alors que le français est une langue linéaire.
Il faut vraiment mettre beaucoup d’énergie pour approcher de celle qui est dégagée par le comédien original.
D. Macaluso : David Tennant, en plus, met la barre très haut!
David Manet : Il est d’une tonicité et d’une volubilité impressionnante!
D. Macaluso : Presque lunatique dans le jeu…
– Justement, j’ai une question à ce sujet : qui préférez-vous entre Eccleston et Tennant ?
David Manet : Je pense que je corresponds beaucoup plus à David Tennant, le «second Docteur», ce qui est curieux d’ailleurs, vu que j’ai été casté pour le premier.
D. Macaluso : Oui.
David Manet : Pas pour le deuxième (rires). C’est drôle, c’est une histoire assez amusante d’ailleurs.
– A la fin de la première saison, c’est un autre acteur qui double David Tennant, pourquoi ?
D. Macaluso : Sur la première saison, il y avait deux directeurs de plateau. Quand on m’a proposé la direction de la série, il y avait une partie des dates pour lesquelles je n’étais pas libre. C’est donc Guylaine Guibert qui a dirigé une partie de la série, dont le dernier épisode.
Je voulais absolument contacter le client pour savoir s’il voulait garder la voix de David ou pas, nous avions même fait une piste avec lui (David Manet).
David Manet : Oui, c’était un nouveau comédien au départ. Lorsque j’ai, sur le mode de la plaisanterie, lancé : « Certes il s’est réincarné, mais après tout il peut avoir gardé la même voix », c’était une phrase en l’air. Mais David a dit : « On va essayer, après tout ça peut être drôle ».
D. Macaluso : Guylaine avait effectivement choisi de mettre un autre comédien sur la dernière scène.
Pour un rôle principal comme celui-là, la production, ou le client décident. Nous aurions pu y penser mais ce n’est pas vraiment notre rôle. Ils auraient pu prévoir un casting sur une scène très courte pour décider quel comédien serait gardé au mixage. La question ne s’est pas posée pour eux et ils ont décidé de prendre la première piste qui avait été enregistrée, c’est-à-dire l’autre comédien.
Et puis lorsque la deuxième saison est arrivée, je me suis dit que la voix de David Manet collait très bien à celle de David Tennant. Nous en avons discuté et avons décidé de garder cette idée, ton idée.
Nous avons alors envoyé un mail au client, lui disant que puisque le Docteur était la « même personne », (en anglais, ils auraient pu garder la même voix aussi, mais ce n’est pas possible puisqu’ils n’allaient pas tout redoubler) et que nous en avons la possibilité, est-ce que ce ne serait pas une bonne idée de garder David Manet pour doubler David Tennant ?
Le client a hésité pendant des semaines. L’autre comédien était Fred Haugness. Ils ont finalement téléphoné à Fred en disant « C’est toi qui est pris ».
David Manet : Je m’y attendais, c’était logique!
D. Macaluso : Puis ils ont rappelé en disant : « Le client a changé d’avis, ils trouvent l’idée intéressante de garder la même voix ». Fred Haugness est alors rappelé pour annuler.
Mais ce que tu sais peut-être pas, c’est qu’ils nous ont rappelé en disant : « Nous avons encore changé d’avis, finalement nous prenons Fred Haugness ». C’est là que je leur ai dit : « Vous n’appelez personne tant que vous n’êtes pas sûr à 100%, parce qu’on ne va pas dire aux comédiens c’est toi, puis ce n’est pas toi »…
Heureusement, car ils ont changé d’avis une nouvelle fois: « Voilà, c’est booké, nous ne changerons plus d’avis » et nous avons donc pu confirmer à David (Manet) que c’était lui.
David Manet : Au départ, je crois que me garder en voix de Tennant a été perçu bizarrement par les fans. Sur les forums on pouvait lire : « Mais enfin, qu’est-ce que c’est que cette idée, c’est le même! Ils ont repris le même comédien! ».
Mes oreilles ont vraiment beaucoup sifflé sur la première saison. Avec Christopher Eccleston, j’en ai entendu « des vertes et des pas mûres ». (rires)
On va dire que ce que je faisais ne plaisait vraiment pas. Et pourtant, je vous jure que nous avons travaillé! Nous ne l’avons pas fait « par-dessus la jambe », nouzs l’avons pris très au sérieux.
D. Macaluso : Je vais jeter un pavé dans la mare : nous avons toujours respecté cette série. C’est une série qui a plu à tout le monde et tout de suite!
Et que David est quelqu’un de très doux et très positif…
David Manet : Alors que David est une brute …
D. Macaluso : Un peu … (rires)
Mais quand il dit que les adaptateurs captaient l’humour de la série la plupart du temps, moi je dois avouer, et c’est là aussi que je mets les pieds dans le plat, qu’il y a eu plusieurs adaptateurs, que je ne nommerais pas, je ne serais pas une brute à ce point là… Mais il a eu certaines adaptations qui ont été extrêmement mal faites et nous avons passé beaucoup de temps à les corriger, plus que ce que David disait tout à l’heure.
David Manet : L’ennui de changer en studio, c’est que cela prend du temps, et que nous faisons ces changements sur le temps de jeu. Ensuite, nous devons improviser car nous devons nous souvenir des changements que nous avons faits et là nous n’avons plus cette petite aide de la bande rythmo car ce qui y est écrit dessus ne correspond plus. Et ça devient vraiment un exercice de haute voltige.
D. Macaluso : J’ai deux exemples qui me restent en tête. J’en ai déjà parlé dans une interview, c’est pour cela que je vais les citer. Dans « The Empty Child », Rose dit à Jack Harkness « C’est bizarre vous êtes tout flou » et elle s’évanouit. Dans la traduction, il était écrit : « Oh attention, je ne me sens pas très bien ».
Nous sentions qu’il y avait une blague, que c’était drôle. Jack Harkness souriait, mais juste en disant : »Attention je ne me sens pas très bien », ça ne justifiait pas le sourire et rendait son personnage presque… cynique.
David Manet : Voire désagréable.
D. Macaluso : Exactement.
– J’ai une question sur un changement de cette sorte. Dans l’épisode 4.05, pourquoi le « Are you my Mummy » repris du double épisode « The Empty Child » est-il devenu « Je vous ai dit ce que j’en pense ? ».
D. Macaluso : J’ai une bonne mémoire mais là je ne m’en souviens plus. Parfois on peut jouer avec le off, c’est-à-dire que dans « je vous ai dit ce que j’en pense », le « P » de « pense » rentre mieux dans le « M » de Mummy.
Nous avons pu mettre l’information après dans le off, ça arrive parfois, c’est une « tricherie » qui arrive souvent. Mais nous avions tellement de phrases à changer qu’il y en a sûrement qui nous ont échappé.
Dans l’épisode avec le sel (1.09 « The Empty Child »), Eccleston demande « où est le sel? » et cela surprend tout le monde parce qu’il est à table. Les enfants se lèvent, Nancy leur dit : « Retournez vous asseoir », et elle lui rétorque : « Vous ne devriez pas être là ».
Dans la traduction française que nous avions, le Doctor demande le sel et quand les enfants se lèvent, au lieu de dire « back to your seat » -« retournez vous asseoir »- , elle lui répond en français : « Derrière votre siège, je ne sais d’ailleurs pas qui l’a rangé là », alors que cela aurait dû être : « Je vous prie de vous asseoir, je ne sais pas qui vous êtes, mais vous ne devriez pas être là ».
C’était tout le temps comme ça! Que cette phrase soit passée à la trappe ne m’étonne donc qu’à moitié.
David Manet : C’est un métier difficile, adaptateur. Honnêtement, c’est très difficile.
D. Macaluso : C’est vrai. Et comme nous disposons de peu de temps, à mon avis, ils ont, eux aussi, des marges serrées en terme de plan de travail.
David Manet : Loin de nous l’idée de renvoyer la faute sur les autres, mais comme nous sommes en dernière position dans la chaîne, forcément, les petites erreurs qui sont faites s’accumulent et quelque part c’est sur nous que ça retombe. Je ne dis pas du tout que les adaptateurs sont des gens moins concernés ou moins doués que les comédiens mais… voilà comment tout cela fonctionne…
D. Macaluso : Quand un comédien est mauvais sur scène, on va rarement dire qu’il est mal dirigé ou mal mis en scène. Pour le doublage c’est pareil.
– Y-a-t-il une personne en particulier que vous aimeriez doubler dans un film ou une série ?
David Manet : Si David Tennant continue à tourner, j’aimerais le suivre. C’est quelque chose que j’aimerai vraiment faire. Il arrive de temps en temps qu’un comédien belge garde « sa voix » que l’enregistrement se fasse en France ou en Belgique.
D. Macaluso : C’est rare …
David Manet : En général, disons que l’inverse est plus vrai. Des comédiens français peuvent venir suivre leur « voix » en Belgique. Il est plus rare que les belges remontent à Paris avec leur « voix ». Mais cela peut arriver.
D. Macaluso : Oui, cela arrive…
David Manet : Personnellement, cela m’est déjà arrivé mais c’est effectivement plutôt rare. J’espère que David Tennant va faire une grande carrière cinématographique. Il vient d ailleurs de jouer au théâtre à Londres (Hamlet).
D. Macaluso : Tu aurais pu le doubler
David Manet : Oui, j’aurais pu faire une traduction simultanée.
– Projetez-vous de faire plus de rôles dans le cinéma ou plutôt du doublage? Que préférez-vous, doubler ou jouer à l’écran ?
David Manet : C’est un métier et un métier que j’aime. Il peut prendre des formes tellement diverses!
Ca a été le doublage pendant longtemps et j’espère que ça va le rester encore un peu. Je suis très content de jouer au théâtre cet automne, et oui bien sûr le cinéma.
Je pense vraiment qu’il faut être prêt à faire des choses différentes. Le doublage était assez snobé jusqu’à il n’y a pas très longtemps.
D. Macaluso : Il y a des gens de théâtre qui ne disaient pas qu’ils faisaient du doublage.
David Manet : C’était mal vu, mal considéré… Maintenant, on voit quand même arriver en studio, et de plus en plus souvent, des gens dont ce n’était pas le métier au premier abord, et qui se consacraient plutôt à la scène.
Et puis vous avez le phénomène, au cinéma, qui est de doubler en français les grands dessins-animés… On met à l’affiche des noms de gens connus, mais qui ne sont pas spécialement doubleurs déjà, et même pas toujours comédiens ! (rires)
C’est amusant et j’imagine que cela doit faire bisquer pas mal les doubleurs dont c’est le métier principal et qui se disent : « Mais enfin, zut » !
D. Macaluso : C’est souvent mal fait.
David Manet : Ca dépend. Dans Ratatouille c’est bien. C’est Camille, qui est chanteuse, qui fait la voix de Colette et qui interprète le générique, elle s’en sort extrêmement bien.
Et on peut imaginer que pour un produit comme celui là, qui est un produit de luxe, ils ont passé un temps infini!
Si on prend beaucoup, beaucoup de soins, d’attentions, que tout est fait avant, pendant et après, cela participe beaucoup à la qualité finale du produit.
D. Macaluso : Ce qui est râlant, c’est que lorsqu’on fait du doublage de façon régulière, on va de plus en plus vite, on a de moins en moins de temps, parce qu’on vous demande d’être toujours plus efficace.
Ce qui peut être normal. Mais il est vrai que lorsque des stars doublent un rôle pendant trois/quatre semaines –– c’est un peu le rythme de certains films d’animation– ils sont mis souvent mis en avant et bien mieux payés…
Je sais que beaucoup de comédiens, surtout en France, pestent un peu.
David Manet : Les comédiens, de toute façon, sont des râleurs! (rires)
D. Macaluso : On nous l’apprend dans la formation ! (rires)
– Doublez-vous une saison d’un coup dès qu’elle est achevée, ou épisode par épisode au fur et à mesure qu’ils sont terminés ?
D. Macaluso : Pour Doctor Who, ils attendent que la saison soit complètement finie en Angleterre, mais pas toujours diffusée par contre. Il est déjà arrivé que nous commencions à doubler les premiers épisodes alors que les derniers ne sont pas encore diffusés en Angleterre mais qu’ils sont tournés.
Par contre, pour d’autres séries notamment les nouvelles, il arrive que l’on ait six épisodes, ils n’en parlent pas encore sur Imdb, la suite n’est pas forcément tournée, dans ces cas, nous doublons vraiment au fur et à mesure.
David Manet : Et pour la nouvelle saison de Doctor Who, je ne sais pas où ça en est…
D. Macaluso : Ils font un an de pause, ce sera en 2010. Il y aura quatre épisodes avec David Tennant, et puis il changera.
– En fait, il y a cinq épisodes spéciaux, deux sont passés en Angleterre, un à Pâques et un à Noël. Il en reste donc trois. Avez-vous déjà commencé à travailler dessus ? Êtes-vous au courant pour la saison 5 ? Allez-vous continuer, parce que c’est un nouvel acteur et non plus David Tennant qui interprètera le Docteur ?
David Manet : Aucune idée. Je n’en sais rien mais je vous dirais bien oui!
– Logiquement cela devrait être vous…
David Manet : Si le principe a été accepté une première fois, il y aurait une certaine logique à poursuivre ainsi, maintenant est-ce que cela va pouvoir continuer ? Par exemple si à un moment, pour une raison mystérieuse, c’est un noble vieillard etc…
– L’interprète choisi pour être le onzième Docteur a vingt-six ans.
David Manet : Il faut voir. Je vieillis aussi! Et tant mieux! (rires)
– Comment avez-vous obtenu le rôle du Docteur ?
David Manet : Par casting. Plusieurs voix ont été proposées, sans doute quatre ou cinq, sur une ou deux boucles pour que le client choisisse. En général, elles sont plus ou moins significatives du rôle mais pas toujours.
Par exemple, nous faisons venir 5 comédiens qui essaient la même séquence. Le client visionne les cinq séquences, et choisit la voix qui lui paraît convenir le mieux.
D. Macaluso : Il y a eu un double casting, je ne sais pas si tu t’en souviens ? Le premier a été refusé en bloc. En fait, on ne connaissait absolument pas la série, et sur le coup nous avions très peu de renseignements. Après le 1er casting, il y en a eu un deuxième, j’ai demandé une description du personnage, vers quoi ça allait, et là j’ai eu un topo plus complet, disant quel genre de jeu il avait. Il y avait une option sur toi, tu étais le préféré dans la première, mais ils ne te voulaient pas…
David Manet : J’étais déjà dans la première…
D. Macaluso : Tu étais déjà de la première, et ils ne te voulaient pas parce qu’ils n’étaient contents de personne. Mais ils trouvaient que tu étais celui qui se rapprochait le plus. J’ai rappelé deux ou trois autres comédiens, et tu as été retenu à cette seconde session.
David Manet : Décidément j’ai eu de la chance ! C’est moins de chance pour les personnes qui ont détesté ce que j’ai fait, mais bon, j’ai été chanceux.
– Vous connaissiez Doctor Who avant de travailler dessus ?
David Manet : Honnêtement, non. Alors que je collectionne les vieux disques, et que j’en ai beaucoup! En fait, dans les années 60, il y a eu le générique de Doctor Who, et même un groupe qui s’appelait « Dalek I love You ». C’est marrant comme c’est entré dans la culture populaire! Les groupes rock se réfèrent parfois à Doctor Who, au Tardis, et malgré tout, je ne connaissais pas.
– Regardez-vous la série ?
David Manet : Lorsque l’occasion se présente, oui.
D. Macaluso : J’achète les DVDs pour ma part.
David Manet : Car nous ne les recevons pas!
D. Macaluso : Non, nous ne les recevons pas.
– Que pensez-vous de la série ?
David Manet : J’aime bien, je trouve que c’est tout un univers. C’est très anglais, parce que, il y a beaucoup de fantaisie, et qu’en même temps on y croit, car les comédiens ont l’art et la manière. Ils sont extraordinaires! Ils ont une qualité d’investissement, de jeu, de sincérité et d’originalité, tout en même temps. Pour moi ce sont les meilleurs comédiens. Je pense que les séries anglaises en général sont très bonnes. Les séries de la BBC sont remarquables.
D. Macaluso : Les comédiens anglais sont excellents, ils sont crédibles dans tout ce qu’ils font. Et ce qui est très très fort dans cette série là c’est qu’ils ont réussi à entretenir le côté kitch de la série des années 60, et, malgré tout c’est crédible. Les monstres arrivent avec des maquillages, ça se voit, et on y croit! C’est super bien joué. Je suis vraiment fan de cette série.
– Quelles sont les spécificités de Doctor Who par rapport à d’autres séries ?
David Manet : Ils parlent vite! Ils parlent très vite!
D. Macaluso : Ils changent d’humeur en une phrase!
David Manet : Les ruptures sont innombrables. Dans une séquence et je ne sais pas d’ailleurs dans quelle mesure tout est écrit car c’est tellement…! Mais bon c’est l’école de jeu anglaise.
D. Macaluso : C’est ça! En plus, c’est toi qui as le rôle le plus difficile, et de loin! En général et pour tous les comédiens, ce qui me fascine vraiment, c’est ce côté décalé. Ils pourraient jouer dans un dessin animé! Et en même temps dès qu’il y a une scène sincère qui arrive, elle est profondément sincère! Il n’y a pas de temps d’adaptation, pas de rupture lente. Ils peuvent passer du jeu de dessin animé à un jeu théâtral shakespearien, tordant et prenant, en quatre secondes et demi. Cela m’impressionne vraiment.
– Que pensez-vous de votre personnage dont la particularité est la régénération alors que vous, autre particularité/singularité vous restez : même voix mais acteur/visage différent alors que le personnage est le même.
David Manet : Evidemment, j’ai plus de souvenirs de Tennant car il y a trois saisons avec lui et une seule avec Christopher Eccleston. Spontanément quand vous me dites Doctor Who, je pense plutôt à Tennant qu’à Ecleston.
D. Macaluso : En même temps, même si c’est moi qui dirige, David est surtout guidé par le comédien de base qui lui donne indications et informations. Mais la façon de te les donner de l’un et de l’autre est tellement différente que ton travail l’est également. Eccleston était plus posé, plus vieux …
David Manet : Oui, Tennant est plus proche de moi. Pour Eccleston je devais un peu trafiquer… Il fallait trouver une virilité ou une force autre. Avec David Tennant je me sens plus à l’aise, naturellement. Et heureusement parce il y a déjà assez de choses à gérer par ailleurs. Si en plus je me devais me souvenir de comment parlait le premier en plus (fait une intonation), là ce serait carrément mission impossible!
D. Macaluso : Ce qui est drôle puisque vous parlez de la régénération, c’est que lorsqu’Eccleston a fini son dernier épisode, Tennant, pendant le premier, le second et le 3eme était plus proche du jeu d’Eccleston puis, au fur et à mesure, il a perdu cet aspect. Tu te souviens ? Par réflexe, avec Eccleston, tu jouais beaucoup plus les doubles négations, les liaisons… Il avait un côté un peu plus acide.
David Manet : Oui, il avait un côté un peu professeur. Il y avait quelque chose de cet ordre là dans le Docteur d’Eccleston…
D. Macaluso : …que Tennant a gardé au début, et qu’il a perdu très vite! Je me souviens dans les premières directions, les doubles négations et les liaisons venaient vraiment d’elles-mêmes et au fur et à mesure elles ont disparu avec ce côté un peu plus.. décontracté!
David Manet : C’est son effet, et ses chaussures! (rires)
– Est-il facile de s’adapter, de passer de l’un à l’autre?
David Manet : Il s’est passé du temps, nous n’avons pas enchaîné. En fait, c’est toujours un peu comme ça. Je passe sur plusieurs produits : le matin je peux faire Doctor Who et l’après midi une autre série, voire même 2 heures de Doctor Who, 2 heures d’une autre série. Donc oui, c’est assez facile de passer d’un univers à l’autre. Mais, je sais que la dernière fois, j’ai eu du mal à me remettre dedans . Au début, ça semblait difficile!
D. Macaluso : Avec Catherine Tate!
David Manet : Oui, parce que les partenaires changent. Il y a Rose, Martha … Il faut chaque fois s’adapter aux personnages à l’écran et aux partenaires dans le studio, avec qui je m’entends chaque fois très bien, ce n’est pas le problème. Mais, ce sont des énergies différentes. En temps que comédien de doublage, on travaille parfois différemment. Les deux partenaires sont très complices à l’écran, il y a une approche différente. On a besoin de réécouter plus souvent, ça change. Du coup, toute l’énergie en studio est différente aussi!
D. Macaluso : Et je crois que c’est ce qu’il passé sur la dernière saison. Il était clair que Rose et Martha n’étaient pas des faire-valoir mais elles jouaient des personnages qui étaient « en dessous » du Docteur. Le Docteur les chapeautait. C’était clair. C’est lui qui « tenait un peu la barre ». Par contre avec Catherine Tate, il y avait un équilibre. Ils étaient plus en compétition.
David Manet : Elle avait son univers elle aussi!
D. Macaluso : On les prenait tout le temps pour mari et femme, c’était le running gag de la saison et donc pour toi aussi, je crois que c’était plus dur de te mettre dedans parce que tu avais quelqu’un qui…
David Manet : …avait plus de répondant encore que d’habitude!
D. Macaluso : Et en studio c’était comme ça aussi! Je trouve que c’était plus dur de se mettre dedans pour ça aussi !
– Quel Docteur préférez-vous ?
David Manet : Je crois que j’ai répondu. Indépendamment du temps passé, Tennant amène tellement de choses ! Eccleston a décidé d’arrêter et Tennant dès son arrivée a dit qu’il était fan de la série, qu’il regardait quand il était jeune. On le sent, il a un plaisir incroyable. Je me sens plus proche de son humour aussi.
– Quels épisodes ou moment vous ont plus et/ou particulièrement touchés depuis le début ?
D. Macaluso : Moi, « les anges pleureurs! » (3.10 « Blink »)
David Manet : J’aime beaucoup celui avec Kylie Minogue, je trouve que c’était un très très beau personnage avec beaucoup d’émotions.
D. Macaluso : Oui, très bel épisode. Je sais que les fans le détestent souvent parce que le Docteur y apparaît très peu mais c’est un magnifique scénario. La rencontre avec Shakespeare aussi.
David Manet : Oui!
D. Macaluso : Et celui avec la Reine Elisabeth et le loup-garou, un de ceux que je n’ai pas dirigé d’ailleurs!
David Manet : Beaucoup d’atmosphère dans celui-là! Il fait peur parfois! C’est de la science-fiction angoissante.
En général, nous aimons un peu moins ceux qui sont purement science-fiction, dans l’avenir, sur une autre planète, dans un autre monde. Souvent ces épisodes sont très agités, avec beaucoup d’excitation.
D. Macaluso : D’ailleurs, ce qui est drôle c’est que ceux que nous n’avons pas aimé, et nous étions souvent d’accord, on été écrit par le même auteur il me semble, le double avec le Diable (2.08/2.09 « La Planète du Diable »), et celui avec les portes à franchir (3.07 « Brûle avec moi »).
David Manet : Quand il remonte dans le temps, il y a quelque chose, avec la Pompadour aussi!
D. Macaluso : Ah oui, il était chouette!
David Manet : J’ai plus de tendresse pour ces épisodes là, ceux liés à l’histoire, parce qu’ils sont dans l’imaginaire et jouent beaucoup avec les références. Ils ont aussi un humour particulier.
D. Macaluso : Celui avec Agatha Christie aussi!
David Manet : Oui! Lorsque c’est de la fiction pure, on trouve très vite les limites scénaristiques il me semble, d’autant que c’est un format court!
D. Macaluso : Je suis d’accord avec toi.
– Un dernier mot pour les fans.
David Manet : Longue vie à Doctor Who, vraiment! J’espère que ça va continuer et que j’aurai le privilège de continuer à le faire…je le souhaite…. (sourire) Quoiqu’ils en pensent !
– Et pour ceux qui n’aiment pas ce que vous faites ?
David Manet : Je comprends tout à fait. Objectivement, je suis convaincu que la série est faite pour être entendue en anglais. C’est tellement anglais, dans le jeu, dans l’esprit, dans l’humour qu’évidemment le doublage peut ressembler à une trahison.
Nous en avons conscience et nous essayons de « trahir » le moins possible. Et peut-être que le doublage peut permettre à des gens qui ne maîtrisent pas l’anglais ou qui ne savent lire de pouvoir quand même profiter de Doctor Who. Et puis se détacher de devoir lire les sous-titres permet de faire plus attention à ce qui passe dans le cadre, aux jeux de visage, parce que quand on lit les sous-titres, on est quand même distrait. Il n’y a pas de solution miracle. Et c’est tellement british! Mais nous le faisons…
A l’unisson : …le mieux possible!
David Manet : Et nous le faisons avec beaucoup d’amour.
D. Macaluso : C’est bien vrai! Nous ne démissionnons jamais, malgré le manque de temps ou le stress de certains épisodes!
David Manet : Et nous avons été très aidés par…
D. Macaluso : …Oui, Thierry Attard!
David Manet : C’est important! Car voilà quelqu’un qui n’était pas du tout satisfait de notre travail et qui, dans un premier temps nous a dézingué mais qui après s’est dit : « Je peux les conseiller, leur donner des pistes ». Et vraiment ça s’est ressenti sur les saisons suivantes!
D. Macaluso : Sur la saison 3, c’est là qu’il était le plus présent et je suis content du résultat parce que j’avais des infos à l’avance!
Il est fan de la série depuis qu’il est tout petit et il m’a donné pleins d’informations sur les épisodes à l’avance en me disant : « Attention, il y aura telle référence »… Et ça vraiment c’est important!
Pour les fans qui ne sont pas contents du doublage, et je peux vraiment le comprendre, si vous avez des conseils, si vous avez des idées…
A l’unisson : N’hésitez pas!
D. Macaluso : Par internet ou par mail, il y a moyen de nous contacter car nous sommes vraiment preneurs de conseils et d’avis, mais constructifs car si c’est juste pour se faire dézinguer, parfois ça nous fait rire, parfois ça fait moins rire. Si ce n’est pas constructif, nous ne pouvons pas avancer! Par contre si on a des conseils et des avis constructifs, je le répète, nous sommes preneurs!
– Question subsidiaire : vous regardez en Version Originale ou en Version Française ?
David Manet : J’avais promis de ne pas le dire mais je regarde en VO (rire) mais cela dit, j’ai un contre exemple.
Pour Alias : j’avais acheté les cassettes vidéo et j’ai commencé en VF parce que je n’avais pas le choix et arrivé à la saison 2, je l’ai regardé en VO et je me suis rendu compte que je préférais en français. Il y a un attachement assez rapide, une symbiose entre la voix et l’image et on s’habitue aux personnages tels qu’ils sont. C’est autre chose. Par exemple, Magnum pour moi, il parle français, Starsky et Hutch aussi, je n’ai jamais entendu cela en anglais. C’est possible aujourd’hui avec les DVD, mais je suis sûr que cela me paraitrait bizarre! De la même manière que cela me fait « bizarre », pour une série que je regarde en VO, si par une erreur de manipulation ou par curiosité, je tombe sur la VF! Je me dis toujours que c’est très éloigné et ce dès le casting!
Je ne parle pas de la qualité du travail du comédien qui assume le rôle mais vraiment le casting, c’est à dire la voix originale qui parfois en français est très éloignée. Et rien que la couleur de la voix qui est autre, c’est choquant quand on est habitué à un physique = une voix.
Un immense merci à tous les deux.
© 2009 – Interview réalisée en direct par Gilles Nuytens de The Scifi World pour Beans On Toast www.doctor-who.fr
Préparée par Aurélie Demonchaux, Corinne Auffret-Nguyên, Frédéric Robert et Maud Robillard pour Beans On Toast – Merci à Anne-Claire Noel pour l’habillage graphique.
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