Steven Moffat, Scénariste et Showrunner à partir de 2010

Steven Moffat

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Steven Moffat a écrit la plupart des meilleurs épisodes de la nouvelle version de Doctor Who, le programme d’action et d’aventures de la BBC sur un extraterrestre voyageant dans le temps. Et en 2010, il prendra la relève de Russell T. Davies en tant que producteur exécutif.

Nous io9.com, avons eu la chance d’obtenir une interview privée avec Moffat durant laquelle il nous a fait part de son point de vue sur la série. Et il a réglé la question sur laquelle nous débattions le plus et ce n’était que le prélude ! Ensuite, les choses sont devenues vraiment intéressantes.


– On a débattu sans fin à propos d’une question sur notre site : Doctor Who est-il un programme pour enfants ?

Oui. Fin du débat. C’est bien de trancher ce genre de questions rapidement.

– Même si beaucoup d’adultes regardent ? La série ne s’adresse-t-elle p pas aux deux ?

Elle s’adresse aux enfants comme aux adultes. Et pourquoi devrait- on se poser la question ? Si vous regardez, c’est que c’est fait pour vous. Ça ne devrait pas importer

Je veux dire, c’est surtout, de par sa forme, un programme destiné aux enfants, car il obéit aux impératifs, aux règles de narration et il garde le ton joyeux de la fiction enfantine. Si vous regardez Doctor Who à 9h du soir, comme on le fait aux Etats-Unis, ça va paraître un peu bizarre.

C’est énergique. Le Docteur débarque du TARDIS et tombe en plein dans les ennuis, et vous l’acceptez. Le Maître devient Premier Ministre de Grande Bretagne, et ça passe aussi. C’est tout aussi brillant et dynamique qu’Harry Potter, Le Monde de Narnia et Star Wars. Ça ne veut pas dire que la série ne plait pas aux adultes.

Star Wars, la franchise cinématographique la plus célèbre jamais réalisée, est explicitement pour les enfants, mais les adultes l’adorent. Doctor Who, c’est ce que je préfère par dessus tout.

Si vous allez en Grande Bretagne, on vous montrera les livrets d’autocollants [et] les boîtes à sandwich. Le lundi dans la cour de récré, les enfants parlent tous de Doctor Who. Ça ne veut pas dire que c’est puéril, en fait c’est très sophistiqué.

– Et bien sûr, traditionnellement en Angleterre, la littérature enfantine est assez sombre, comme par exemple Roald Dalh.

C’est sombre… C’est plein de terreur, de mort et de hurlements de femmes. Des innocents qui se font désintégrer dans les 5 premières minutes de chaque épisode. Pourquoi devrait-on en débattre ?

Si les adultes le regardent, alors le programme est pour eux. Nous sommes très heureux qu’ils le fassent mais chacun d’eux en profiterait plus en le regardant avec un enfant de 8 ans. Et alors là vous le voyez vraiment…

La famille au grand complet s’installe pour regarder Doctor Who : la mère, le père, le grand père, les 2 enfants… Maman trouve David Tennant à son goût, Papa pense que les vaisseaux spatiaux sont vraiment cool, Papy dit que c’était mieux avec (le premier Docteur) William Hartnell…

Et tous pensent que la série s’adresse à eux.


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– Avez-vous vu Wall-E ?

Je n’ai pas vu Wall E, ça a l’air fantastique.

– Ce film m’a vraiment époustouflé. C’est pour les enfants, mais étonnamment, il aborde des sujets très sérieux.

On croit souvent à tort que la fiction enfantine est légère ou superficielle, alors qu’en réalité, y sont abordés des thèmes vraiment graves et importants. Ce sont les adultes qui aiment la légèreté et le superficiel.

Les enfants prennent tout très au sérieux [alors] leurs histoires portent sur des événements tout aussi importants.

– Quand la série a été relancée, Russell T Davies, son premier producteur exécutif, a dit être influencé par Buffy contre les vampires. Doctor Who est-il toujours influencé par Buffy ?

Je pense que lorsque vous commencez à travailler sur un tel programme…Vous cherchez autour de vous des choses avec lesquelles vous pouvez le comparer. Où en est Doctor Who à présent ?

À quoi est-ce que la série ressemble maintenant? Qu’est-ce que je peux donner comme exemple de cela ? Buffy en est un bon: c’est pour les jeunes, c’est aventureux, drôle et insolent.

Mais dès que vous commencez à travailler sur Doctor Who, vous arrêtez de penser à Buffy et vous commencez à vous concentrer sur Doctor Who. Aujourd’hui c’est devenu un programme de grande ampleur, fantastique et important.

– Alors, existe t-il des programmes actuellement qui vous influenceraient plus que d’autres ?

Vous regardez des émissions, et inévitablement ce que vous aimez vous influence. Un programme tel que Doctor Who a toujours été un mélange d’idées prises à droite et à ga uche.

Vous vous mettez à récupérer des éléments d’autres séries. Doctor Who emprunte continuellement aux autres émissions. Vous voulez faire un épisode de braquage de banque dans Doctor Who ? Vous pouvez le faire.

– Alors va-t-on avoir quelque chose de totalement fou dans la saison cinq, par exemple un braquage de banque ?

Je ne dirai pas grand-chose de la saison cinq. C’est dans deux ans. Même si je donne des indices alléchants, d’ici là ce sera dépassé. Les gens les analyseraient et en débattraient à n’en plus finir.

Dans deux ans quand la saison cinq sortira, je veux que ce soit du neuf, du jamais vu.

– Dans ce cas, je ne vous demanderai pas de spoilers sur la saison cinq. Sauf… Y a-t-il des chances pour que l’on revoie River Song ?

Le Docteur la croisera de nouveau, c’est clair, et nous savons qu’il la reverra un jour. Mais à savoir si nous verrons cela arriver à l’écran ? – *Il hausse les épaules*


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– Alors à propos de River Song, l’un des aspects les plus intrigants de votre double épisode récent était toutes ces références à un super-docteur du futur, capable d’ouvrir le TARDIS d’un claquement de doigts. Est-ce un indice de ce que l’on pourra voir dans la série ?

Si vous avez une clé de voiture Bluetooth, vos pouvez pratiquement faire cela de toutes façons. Faire que le Docteur puisse ouvrir la porte en claquant des doigts n’est pas ce qui importe. Vous l’avez vu changer de tête.

Ce qui compte vraiment dans Doctor Who—et je discutais de cela avec Russell l’autre jour—c’est que c’est le plus grand bavard de l’univers, et il peut convaincre les gens de n’importe quoi.

Mais derrière les apparences, c’est tout simplement un gars. Un homme. Juste un homme avec une machine à voyager dans le temps qui excelle à convaincre les gens… et il bluffe très bien.

Quand River Song murmure son nom, il flippe, et vous le voyez se déstabiliser et redevenir juste un mec.

David Tennant fait un travail fantastique. Il montre le Docteur en train de se ressaisir et d’endosser à nouveau son identité de docteur ainsi que le fardeau qui va avec. C’est celui qui n’abandonne jamais, et c’est ça son super pouvoir.

– Mais dans d’autres épisodes, des indices font passer le Docteur pour une sorte de dieu. Et à la fin du double épisode de Paul Cornell de l’année dernière -« La famille de sang » et « Smith, la montre et le Docteur »-, on le voit, tel un dieu, faire subir à des gens ces super-châtiments, en les congelant ou en les piégeant dans des miroirs.

Vous voyez une version très raccourcie de ces événements. Le Docteur fait tout ça, en effet, mais ce n’est pas de la magie… Ce serait une légende très ennuyeuse si on découvrait qu’au fond,c seul l’aspect légendaire compte. Vous voulez qu’elle soit à propos d’un homme.

Là, ça devient intéressant de façon significative, car il s’agit d’une personne. Cela me surprend que les gens y soient sensibles.

Il y a beaucoup de moments, dans le reste de la série, où l’on montre un Docteur très humain. Il peut très bien être jaloux, tomber amoureux, avoir le cœur brisé. Et il se demande « comment puis-je continuer à faire ça ? ».

– À propos de Paul Cornell, il a écrit un épisode internet audio de Doctor Who, avec Richard E. Grant -dans le rôle du Docteur-, intitulé « Scream Of The Shalka », où l’on voit un Docteur bien plus fatigué et se haïssant lui même. Verrons-nous un jour cette facette du Docteur à la télévision ?

Je ne pense pas. Je ne crois pas que ce soit quelque chose que l’on pourrait vendre au grand public, un Docteur amer et triste, qui se hait. Ce n’est pas ça qui attirera les téléspectateurs. On veut croire qu’il a la meilleure vie que quiconque puisse jamais avoir.

Il ne s’agit pas de faire un film d’auteur. On entrevoit l’immense tristesse et la solitude du Docteur, mais ce sont des nuances qui n’apparaissent que par moments. Mais dans le scénario de « Scream Of The Shalka », c’était juste une intrigue secondaire qui s’inscrivait dans l’histoire principale.

La plupart du temps il va courir, et encore courir.


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– Vous êtes clairement influencé par les années Peter Davison (le cinquième Docteur), et vous avez écrit « Time Crash », où il rencontre le Docteur « version » David Tennant. Qu’est-ce que cela apporte à votre idée d’un Docteur plus humain ?

J’ai vraiment aimé le Docteur joué par Peter. J’ai parfois dit : « on le sous-estime dans le rôle », même si ce n’est plus le cas depuis « Time Crash » évidemment. Je pense qu’il est un Docteur brillant…Il a ouvert la voie à des Docteurs plus jeunes et plus impétueux… C’est le premier Docteur moderne…

Avant Davison, le personnage faisait toujours figure de père, et tout à coup il est devenu l’ami téméraire…Le Docteur ne sait jamais ce qu’il fait, il espère juste pouvoir s’en tirer malgré tou

– Alors pour l’instant on voit le côté humain du Docteur, mais est-ce qu’on finira par le voir devenir ce super-Docteur décrit par River Song ? Dans la saison 10 peut-être ?

C’est quelqu’un d’incroyable, et on veut le voir accomplir des exploits qui ressemblent à de la magie.

Qu’a dû penser la Cour de Versailles, quand il a traversé le miroir à cheval ? De quoi ça avait l’air pour eux ? Alors que nous, nous savons qu’il y avait un cheval dans le vaisseau spatial, qu’il y avait un portail et que c’était un tour de passe passe.

– Vos épisodes de Doctor Who comptent parmi les plus effrayants, et vous avez également travaillé sur Jekyll, une série fantastique. Quelles sont vos influences dans le genre de l’horreur ?

Pour être honnête, il s’agit de Doctor Who. Je n’ai pas regardé beaucoup de films d’horreur. J’ai vu « The Ring », qui est sacrément terrifiant.

Gareth Roberts, qui a écrit le 4.07 « Agatha Christie mène l’enquête » -The Unicorn and the Wasp-, a une théorie : on écrit Doctor Who tel qu’on se le rappelle.

Dans ses souvenirs, c’était drôle et astucieux, alors c’est ce genre d’épisodes qu’il écrit pour Doctor Who. Tel que je m’en souviens, c’était terrifiant.

– Dans les comics de Batman, l’idée que Batman crée lui même ses propres ennemis était autrefois un courant de pensée sous-jacent et controversé, mais récemment c’est presque devenu la version officielle de l’histoire. De la même manière, il y a l’idée que le Docteur crée plus de problèmes qu’il n’en résout, et qu’il est une force destructrice. Cela apparait à la fin de la saison 4, quand Davros lui dit qu’il n’ose pas regarder en arrière afin de ne pas voir les dégâts qu’il a causés. Cette vision du Docteur est-elle en train de se répandre ?

Je ne voudrais pas que ce soit vrai. Je pense qu’à ce moment là, Davros cherche à le provoquer.

Je préfère penser que l’équilibre dans l’univers est maintenu par un seul et brave homme. Je pense que le Docteur fait plus que ça, il inspire les gens à devenir des héros, à accomplir des actes héroïques.

Le côté sombre, c’est ce que voit Davros, parce que c’est un vieux crétin mesquin, mais le Docteur vaut mieux que ça, il est plus sympathique et spécial.

– L’une des grandes nouveautés de l’ère Russell T. Davies fut l’idée d’avoir une compagne qui reste attachée à sa maison et sa famille, et de faire de cette famille, les personnages secondaires de la série. Comment faire pour maintenir cette nouveauté quand les assistantes se succèdent ?

Vous changez tout, constamment. Même cet aspect de la série a changé radicalement au cours de ces 4 dernières années…On ne se préoccupe pas de faire les choses de façon radicale et nouvelle… On fait ce qui permet de faire avancer l’histoire. C’était très important que Rose, Jackie et Mickey soient des personnages clairement développés.

Quand la série a commencé, le Docteur était un guide ridicule. Le public ne comprenait ni qui il était, ni ce qu’il était censé être. Mais maintenant c’est très différent, car le Docteur est le personnage de la série avec lequel on est le plus familier.

Au départ, on connaissait bien mieux Rose que le Docteur, et maintenant on le connaît mieux qu’elle. À présent nous voyons Rose du point de vue du Docteur, et non plus le Docteur du point de vue de Rose.

Vous devez rester dynamique et énergique, et Doctor Who, c’est le changement. Ca fait partie intégrante de la série, elle doit changer.


Un grand merci au site io9.com qui nous a courtoisement autorisé à traduire cette interview.

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© 2009 – Interview réalisée par Charlie Jane Ander pour io9.com

Traduction : Aurélie Demoncheaux – Relecture : Maud Robillard – Habillage graphique : Anne Claire Noël.

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